Notre-Dame de Tout-Secours

Bulletin paroissial de mai 1945

Sous ce vocable va être édifiée, au plus haut point de la paroisse, à la Forêt, la statue de Notre-Dame qui nous rappellera les heures tragiques de Septembre. C'est bien, en effet la Vierge à qui nous avions dit notre détresse qui vint à notre secours dans les circonstances très précises que voici :
Les derniers jours d'Août, la population des «en-haut» courait de grands dangers certains et nombreux. Le maquis, par des incursions répétées contre les convois, attirait sans cesse des représailles sur les fermes et leurs habitants : mitraillades, incendies, bombardements par les Allemands d'abord qui blessèrent une jeune fille, puis par les avions anglais, tout cet ensemble créait une atmosphère de légitimes angoisses. Le maire donnait l'ordre d'évacuer les enfants et, quelques jours après, m'adressait la lettre suivante :
Mercredi, 30 août 1944,
Monsieur le Curé,
« Afin de protégr la population de notre commune contre les risques de bombardement, qui ne sont pas illusoires, j'ai l'honneur de vous demander des prières publiques à cet effet.
Il me serait agréable que le chapelet de 16h.½ soit dit à cette intention par vous-même, chef de la paroisse, et moi-même, chef de la commune; je m'u rendrai les Lundi, Mercredi et Vendredi pour y représenter l'ensemble de la population. Je commencerai le Vendredi 1er Septembre et je vous proposerai de faire un voeu (à étudier) pour le cas où la commune serait épargnée.
Voulez-vous agréer... »
Le Maire : J. DEFORGE.
Le lendemain, je commençais de parler de ces prières dans le bourg et, à l'office du matin, le 1er Vendredi du mois, j'annonçais la Neuvaine. Le premier exercice eut lieu ce Vendredi 1er Septembre, à 16h.½, en présence du maire et d'un certain nombre de personnes.
Quelques heures après allait commencer une série d'ennuis de plus en plus graves. Malgré mon intervention et celle d'autres gens sensés, nouvelle incursion du maquis, mais cette fois près du bourg; elle devait avoir les terribles conséquences que vous savez : incendies chez Bunand, Charrin, tentatives chez Chauffin, Vachot, capture des sept premiers hommes partis pour éteindre le feu et, le lendemain, nouvelles arrestations suivies de menaces officielles d'incendie général du village si dans une heure des renseignments ne sont pas donnés sur le maquis. Panique générale : chacun ramasse son petit balluchon, les rumeurs les plus diverses circulent, les maquisards s'enfuient par les toits, la plupart des hommes partent, quelques-uns restent avec M. le Maire et M. le Curé, sur la place de la Mairie. Il est près de 11 heures.
Moments critiques s'il en fût! et je suis sûr que de vos coeurs chrétiens montèrent alors vers Dieu et la Vierge des prières ardentes et des invocations répétées. Elles furent exaucées.
Première bonne nouvelle : les hommes faits prisonniers la veille ne sont pas loin; ils pourront être relâchés. Juste avant midi, ils reviennent en effet, encore étonnés de s'en être sortis indemnes. Mais le temps passe; des groupes d'Allemands circulent de temps en temps, d'abord en ordre, méfiants, l'arme prête à tirer, puis d'une manière confuse, chacun cherchant à trouver un moyen de transport. On ne devait pas revoir les officiers qui, le matin, avaient donné l'ultimatum. Des groupes revenant de Chazay vers 13h.½ et 14h. firent encore du chantage, menaçant de tout faire sauter si on ne leur procurait pas de vélos. En quelques minutes le nombre de vélos fut trouvé et, à 14h.¾, les Allemands quittaient le bourg. C'était fini, on ne devait plus les y revoir.
A 16h.½, à l'église, nous pouvions reprendre notre Neuvaine et dire déjà un chapelet d'actions de grâces.
Ensuite je montai au tunnel et plus haut pour rassurer tout le monde. Les français ne devaient arriver que vers 18 heures.
Sachant ce qu'étaient les Allemands, ce dont ils étaient capables, ce qu'il ont fait ailleurs, la crainte qu'ils avaient des terroristes, je vous demande : Pourquoi certaines maisons, malgré les tentatives, n'ont-elles pas brûlé? Pourquoi ces prisonniers sont-ils revenus sains et saufs, après avoir été menacés plusieurs fois de mort? Pourquoi, après les menaces et malgré les refus de renseignements, le village entier n'a-t-il pas été incendié? Enfin pourquoi les Français sont-ils arrivés juste à temps pour nous préserver de nouvelles représailles? ¯ Par hasard? ¯ Dans une telle suite, le hasard paraît avoir été singulièrement intelligent. Mais le hasard n'existe pas; ce n'est qu'un mot commode pour se dérober. Nous savons, nous, chrétiens, que rien n'arrive sans l'ordre ou la permission de Dieu, et nous avons reconnu avec évidence la protection de la Vierge qui a récompensé l'acte de foi officiel de la commune et de la paroisse.
Aussi notre Neuvaine se continua-t-elle en prières d'actions de grâces et elle se clôtura, le Dimanche 10 Septembre, par une cérémonie solennelle où, dans une église pleine, je lus la consécration suivante :
«Marie, ô notre Mère, nous voulons aujourd'hui vous remercier de votre protection. Dans les dangers que toute la paroisse a courus surtout durant ces journées des ler, 2 et 3 Septembre, chargées d'insuiétude et d'angoisse, nous nous sommes réfugiés vers vous et avons imploré votre secours. Vous avez entendu notre appel et nous avez exaucés. Seules des imprudences fatales ont été la cause de nos dégâts matériels et des blessures mortelles d'une malheureuse victime. Merci de nous avoir épargnés.
En reconnaissance, nous vous avons promis de vous ériger une statue dans les «en-haut» de notre paroisse qui furent le plus longtemps menacés par les pillages et représailles de l'ennemi.
Chaque année, comme ce matin, nous irons vous prier en pèlerinage pour vous renouveler notre confiance et notre gratitude. Surtout, nous voulons être meilleurs et mieux suivre les commandements de votre Divin Fils, en particulier celui de la Charité qui les résume tous. Aidez-nous à rester unis dans le devoir comme nous l'avons été dans le malheur, afin que nous puissions tous être réunis avec vous un jour au Ciel. Ainsi soit-il.»
En ce mois de Mai, sachons témoigner à la Sainte Vierge notre filiale reconnaissance et soyons plus nombreux à la Messe, au chapelet et aux exercices du mois de Marie. Aimons dès maintenant l'invoquer sous ce titre qui sera nôtre désormais :
«Notre-Dame de Tout Secours», priez pour nous!
Votre Curé : F. NÉRAUD